Valeurs Actuelles est le principal média à utiliser ouvertement le mot "racaille" dans ses titres, marqueur sémantique de la fange nauséeuse dans laquelle il se vautre sans complexe.
Les racailles et le Kärcher
À l'origine, "Racaille" exprimait un mépris de classe. La racaille, c'était le petit peuple, les pauvres.
C'est en 2005 que Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur en visite dans les banlieues, remet ce terme sur le devant de la scène médiatique. La "bande de racailles", on va "vous en débarrasser", on va "nettoyer ça au Kärcher". Quelques mois plus tard, les émeutes enflamment les banlieues, et cette déclaration, ce terme, n'y sont probablement pas étrangers.
Les militants et politiciens d'extrême-droite cherchent de nouveaux mots, et celui-ci est parfait : pas trop direct, il est déshumanisant à souhait. Un auteur d'incivilités, on l'éduque. Un délinquant, on le juge, on le condamne. Une racaille, on s'en "débarrasse". Aucun pathos, aucune loi à respecter. On ne s'émeut pas du sort de l'eau sale du Kärcher.
Et le sens peut glisser facilement. D'un auteur d'incivilités à quelqu'un partageant une allure, une tenue vestimentaire, une façon de s'exprimer, une couleur de peau, un prénom ou un code postal, personne ne peut en définir les contours.
Jacques Chirac, alors Président de la République, avertit du danger de ce terme en déclarant :
Les politiques et les médias
En 15 ans les choses ont bien changé et le terme qui n'était employé publiquement que par une frange extrémiste xénophobe est repris à dessein par des politiciens plus modérés à la recherche d'un élargissement vers un électorat raciste. Avec "ensauvagement", il participe à cet abandon récent de la réserve tacite envers les termes flous ou carrément nauséabonds par la classe politique modérée.
Seul le monde des médias demeure encore totalement imperméable à l'utilisation du terme "racaille" aux accents clairement stigmatisants et déshumanisants. De manière générale, la presse privilégie les définitions claires et déteste l'ambiguïté.
Hormis, bien sûr Boulevard Voltaire, blog d'extrême-droite qui a récemment obtenu la qualification de site d'information, seul Valeurs Actuelles s'ose à une telle ignominie.
Avec des dizaines de titres d'articles utilisant ce terme, c'est l'exutoire bienvenu qui permet à ce torchon numérique et imprimé de se faire comprendre de son cœur de cible tout en évitant les procédures judiciaires pour provocation à la haine.
Bien sûr, si vous demandez des comptes à un raciste, il vous en donnera une définition qui en exclut tout critère ethnique. Il s'agira de "jeunes délinquants", sans autre précision. Mais parfois, la contradiction est trop compliquée à gérer, et l'édifice s'effondre.
Un fait divers atroce enflamme la "fachosphère" en juillet 2020 et le hashtag #LaRacailleTue fleurit alors sur les réseaux sociaux. Si les militants de base n'hésitent pas à clarifier leur pensée, les personnalités publiques peuvent se retrancher derrière l'imprécision de la définition pour éviter les sanctions.
Et lorsque ce hashtag est associé à #OnVeutLesNoms, plus aucun doute n'est possible. Le nom ou le prénom des auteurs présumés permettrait donc de clarifier quelque chose. La "racaille" qui tue ne serait donc véritablement de la racaille qu'associée à des prénoms d'origine musulmane ou africaine. En première ligne, les groupes identitaires ethno-nationalistes d'extrême-droite et les têtes d'affiches médiatiques de la haine habitués à de telles allusions ignobles.
Valeurs Actuelles saute sur l'occasion, et relaie complaisamment ces associations nauséabondes.
Ils veulent des noms, ou plutôt des prénoms. Ils veulent des statistiques ethniques. Ils veulent une distinction entre les français en fonction de leur origine. Ils veulent prouver qu'intrinsèquement, une partie de la population doit être considérée au mieux avec méfiance, au pire expulsée du pays où elle est née. Que puisque l'auteur d'un crime atroce s'appelle Mohammed et habite un quartier populaire, il faut prendre des mesures particulières contre tous les habitants des quartiers populaires issus de l'immigration.
Open bar
À chaque fait divers après cela, le hashtag ressortira, pour exiger de connaître les prénoms des auteurs présumés. Le sujet continuera à être exploité seulement si le résultat convient, abandonné sinon pour passer au fait divers suivant. Lorsque c'est inconscient, il s'agit d'un biais de confirmation, qui consiste à retenir seulement les "preuves" qui vont dans le sens de ce qu'on présuppose. Lorsque cela fait partie d'une idéologie ou d'une ligne éditoriale comme pour Valeurs Actuelles, c'est un choix conscient, cela s'appelle du cherry picking.
Du côté de Valeurs Actuelles, c'est open bar sur la racaille. Surfant sur l'émoi originel, le torchon utilise systématiquement le terme et fouille encore plus profond dans les poubelles pour constituer ses unes. Nous sommes en août 2020, et pas un jour ne passe sans au moins un article sur le thème.
Il est martelé jusqu'à ce que ça rentre, jusqu'à ce qu'il soit acceptable dans une conversation. Et peu importe si personne ne peut le définir, bien au contraire, on se contente de laisser des pistes, les lecteurs se feront eux-mêmes leur idée
Jean Messiha dans Valeurs Actuelles, 25/08/20 "Face aux sauvages, les Français doivent choisir : se défendre ou disparaître"
Lorsqu'un journaliste emploie un mot, peu importe la définition qu'il lui accorde, seul compte le sens compris par le lecteur
On assiste en ce moment à des glissements sémantiques dangereux, avec une recrudescence de termes déshumanisants (sauvage, ensauvagement, horde, racaille ...) portés par les médias de haine comme Valeurs Actuelles et de plus en plus repris par des politiciens hors de la mouvance raciste dans un calcul électoraliste scandaleux.
Ajoutons à cela une réduction ciblée du sens des termes comme "séparatisme" ou "identitaire" qui se cristallisent sur les musulmans et les extrémistes islamistes alors qu'ils pouvaient aussi désigner il y a peu les idéologies xénophobes des groupuscules d'extrême-droite.
Un politicien qui à l'heure actuelle emploie ces termes est pas un simple complice de la division et du clivage que tentent d'imposer les séparatistes identitaires d'extrême-droite : il en est acteur, soutient et propage leurs idéologies délétères et pousse la nation vers le conflit interne. Il n'a aucune excuse.
Les véritables médias se sont majoritairement tenus à l'écart de quelques-uns ces termes flous, mais cela ne pourrait n'être qu'une question de temps avant qu'ils les adoptent à leur tour. La fenêtre d'Overton s'ouvre de plus en plus grand.
Et dans ce processus, si ce qui définit une racaille, c'est son absence totale d'empathie, sa violence, son repli sur soi, son désir de diviser en groupes étanches et de pousser à leur affrontement, où trouve-t-on les plus belles racailles ? Dans les quartiers populaires ou à la rédaction de Valeurs Actuelles ?
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