Jean n'est pas raciste, absolument pas. Mais Jean est convaincu qu'on est submergés par l'immigration, que les étrangers sont beaucoup trop nombreux ici. Peut-être pas dans son quartier, non, mais ailleurs, partout ailleurs, oui. On le lui a dit et redit. Tous les soirs à la TV sur CNews, toute la journée sur Facebook, et même dans de "vrais sites d'info" comme Boulevard Voltaire ou Valeurs Actuelles. Submersion migratoire, Grand Remplacement, multiculturalisme, mondialisme, galaxie Soros, si tous en parlent, si tous le disent, c'est forcément vrai. Et il a beau avoir la cinquantaine bien tassée, Jean, il sait que c'est pas qu'un truc de vieux cons, il a même vu une bande de plus jeunes que lui en parkas bleues qui pensaient exactement la même chose.
Maintenant, quand Jean croise un "noir" ou un "arabe" dans la rue, il se demande de quel pays il débarque, si ce gars-la va l'attaquer. Parce que ce sont de vrais sauvages, hein, il l'a lu aussi, leur "culture" est incompatible avec la nôtre, et puis beaucoup sont des terroristes qui nous détestent, qui nous veulent du mal, alors Jean s'écarte un peu pour ne pas passer trop près. On ne sait jamais, le gars doit être un islamiste, il cache peut-être un couteau. Et puisque les politiques et les juges rouges sont complices et font partie du grand complot, si Jean est poignardé, c'est sûr, son agresseur ne sera jamais condamné, il sera protégé parce qu'il n'est pas blanc.
Des hordes entières d'entre eux traversent la Méditerranée, à l'assaut de l'Europe, pour détruire notre mode de vie. C'est une menace. C'est une guerre démographique, une guerre de territoire, de religion, une guerre totale. On a dit à Jean qu'en fait les ONG en Méditerranée ne sont pas là pour aider les gens, mais qu'elles servent un agenda politique, qu'elles sont complices des passeurs. Il a fini par le croire. Maintenant qu'il le sait, il le répète, il en convainc ses voisins, il le gueule au café du coin après le verre de trop. Ce sont les bateaux de secours en mer qui sont responsables des noyades. Ça lui paraissait ridicule lorsqu'il l'a entendu pour la première fois, mais petit à petit il a compris, c'est rentré. C'est lui le vrai humanitaire. Médecins Sans Frontières, Aquarius, Sea-Watch, tout ça, c'est des criminels, des meurtriers. Il faut les interdire.
Quand les gouvernants européens, dans leur grande opération de racolage des "Jean", refusent l'accès à leurs ports pendant des semaines à un navire chargé d'hommes de femmes et d'enfants, il ne s'insurge pas, il ne manifeste pas, au contraire il dit bravo. Lorsque les ONG finissent par jeter l'éponge et rester à quai, il applaudit. Quelle belle victoire que voila sur le Complot Mondialiste ! Jean est fier, tout ça prouve qu'il avait raison.
Alors quand le petit canot de Mamadou et de ses 50 compagnons d'infortune chavire dans les creux de trois mètres de la grande bleue transformée en enfer gris, il n'y a plus personne sur zone pour lui porter secours, à Mamadou. Il n'a aucune chance. Pas un bateau, personne pour constater la tragédie, personne même pour compter les cadavres qui reviendront s'échouer plus tard sur les plages libyennes. Jean et ses copains ont bien travaillé. Mamadou se noie avec tous les autres. Mamadou ne mettra jamais le pied en Europe, il ne croisera jamais Jean dans la rue. Jean est rassuré, Jean dort mieux.
Et si on dit à Jean que son discours est ignoble, qu'il provoque la mort d'êtres humains, il répond que c'est faux, que c'est la propagande des islamocollabos qui veulent imposer la dictature de la pensée unique, qu'au contraire il sauve des vies, que lui il dit la vérité mais que de nos jours on n'a plus le droit de la dire la vérité, qu'on n'a plus le droit de rien dire.
Et ça, il le sait aussi, parce qu'il l'entend tous les jours à la télé et il le lit sur Internet.
Pour une introduction au concept de fenêtre d'Overton, regardez l'excellente chronique de Clément Viktorovitch !