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Publicité programmatique, la machine devenue folle

Dernière mise à jour : 22 nov. 2020

Dans le passé, une entreprise qui désirait promouvoir son produit choisissait ses emplacements publicitaires : les journaux, les émissions de radio ou de télévision auxquelles elle désirait associer sa marque, et, aux premiers temps d'Internet, les sites Web sur lesquels elle désirait que ses bannières apparaissent.



La publicité par volume et statistiques

Internet a pris une ampleur considérable, et le système est passé du ciblage au volume. Des intermédiaires publicitaires sont censés viser l'internaute et vendent du clic, d'où qu'il vienne. On raisonne par statistiques, par taux de conversion, et des sommes colossales sont mises en jeu, lorsque sont collectés quelques centimes sur chacun des milliards d'affichage de bannières et de clics.

Pour savoir quelle bannière va apparaître lorsqu'un internaute consulte un site, des algorithmes complexes entrent en jeu, si complexes que plus personne ne peut en prédire le résultat à l'avance. En quelques millisecondes, un battement de paupière, en fonction des sites déjà visités par l'internaute, ses centres d'intérêt, son âge, le type de site qu'il visite maintenant, les mots-clés sur la page, différents bandeaux publicitaires sont choisis par l'intermédiaire publicitaire, la régie. S'active alors un système d'enchères automatiques qui attribue l'emplacement au plus offrant. Et le bandeau de l'entreprise choisie apparaît alors chez l'internaute.


Si celui-ci clique sur cette bannière (parfois, le simple affichage suffit), quelques centimes sont payés par l'entreprise émettrice de la publicité à la régie. Celle-ci les reverse à l'éditeur du site, en conservant une commission au passage. Les montants en jeu donnent la mesure du marché énorme que cela représente.


La plus grosse régie publicitaire, Google Ads, a ainsi engrangé en 2019 plus de 23 milliards de dollars (l'équivalent du PIB du Sénégal ou du Honduras), représentant 70% du chiffre d'affaire de l'ensemble du groupe.


Un exemple concret

Prenons un exemple concret, bien que totalement fictif : Mme Lambda se demande si elle mange trop de viande. Elle fait des recherches sur Internet, visite des sites généralistes d'informations, des blogs médicaux, etc. Certains sites qu'elle visite font partie du réseau d'éditeurs ayant décidé de proposer leurs emplacement à la régie ProgrammaticAds. Cette régie est sérieuse et a un réseau d'éditeurs conséquent, plus ou moins classés par catégorie, et, normalement, aucun ne s'adonne à des activités illégales.

À l'autre bout de la chaîne, la franchise de boucheries Sanzot veut passer des pubs sur Internet. Elle a préparé des visuels, et les a confiés à ProgrammaticAds, en lui demandant seulement de ne pas apparaître sur des sites pornographiques. Pour le reste, elle lui fait confiance.


Mme Lambda visite une page du site d'information "Le Courrier du Cantal" qui traite d'un élevage bio en Auvergne. Ce site est fournisseur d'emplacement de ProgrammaticAds, et les algorithmes programmatiques décident d'afficher ici les publicités de la boucherie Sanzot. Mme Lambda voit la pub, la clique peut-être, et quelques centimes sont payés par la boucherie et reversés au site d'information.


Maintenant, Mme Lambda visite une page de C421, association d'activistes végan dénonçant la cruauté envers les animaux dans les abattoirs. Le site de cette association fait également partie du réseau de fournisseurs d'emplacement de ProgrammaticAds. Sur la page visitée, il est question de viande, Mme Lambda est visiblement intéressée par ce sujet, c'est à nouveau la bannière de la boucherie Sanzot qui va apparaître.


Un financement involontaire

Beaucoup considèrent que le problème se situe là : la bannière de l'annonceur apparaît sur un site qui va à l'encontre de ses activités, de ses valeurs ou de sa clientèle. C'est son image de marque qui serait en jeu. Pour nous, Sleeping Giants France, le principal problème est ailleurs. Il s'agit moins d'une question d'image de marque que de financement. Les valeurs et les objectifs de la boucherie et de l'association sont diamétralement opposées, mais la boucherie utilise une partie de son budget pour financer l'association. Elle sponsorise ainsi involontairement un groupe qui va a l'encontre de ses intérêts ou de sa philosophie.

À l'autre bout de la chaîne, l'association, pour des questions d'éthique, devrait remettre en question cet argent gagné suite à une erreur, contre la volonté de l'émetteur.



Les sites de fake news, les sites auto-proclamés de "réinformation", promouvant la peur, la haine, l'exclusion, le rejet, n'ont pas ces scrupules. Ils acceptent sans discernement l'argent de tous, considérant ceci comme un droit, contestant même le fait que certains annonceurs puissent ne pas vouloir les financer. Ils revendiquent la liberté d'expression qui leur permet de mettre légalement en ligne des textes abjects, mais ils nient aux acteurs économiques la liberté de ne pas les cautionner.


La régie publicitaire considère que ces sites de "réinformation", tant qu'ils ne dépassent pas certaines bornes, méritent de demeurer dans son réseau d'éditeur. Elle ne propose pas aux annonceurs des catégories suffisamment précises pour éviter ce type de site, leur laissant comme seule possibilité l'inscription de ces sites dans une liste d'exclusion personnelle, ce qui est fastidieux et complexe.


L'action d'information des Sleeping Giants

Nous considérons que les annonceurs et les régies doivent se re-responsabiliser, et qu'un site ne devrait pas être financé par des entreprises non consentantes. En informant les marques de la présence de leur bannière sur des sites extrémistes, nous leurs donnons toutes les informations leur permettant de juger si elles désirent les y conserver.

Si suffisamment d'annonceurs retirent leurs publicités d'un site donné, le prix au clic diminue mécaniquement (n'oublions pas qu'il s'agit d'un système d'enchères), et les revenus publicitaires du site chutent.

Il s'agit d'un travail de fourmi, long, ingrat et répétitif. Mais il peut avoir un véritable effet concret, et doit conduire les sites pourvoyeurs de haine et d'intolérance à réévaluer leur modèle économique, qui, pour l'instant, s'appuie quasi exclusivement sur l'ignorance de leurs sponsors involontaires. De plus en plus d'entreprises prennent conscience des enjeux éthiques de la publicité programmatique et de la responsabilité qui est la leur. Des labels et groupements commencent à voir le jour en Europe et fédèrent les acteurs désireux de prendre en compte ces problèmes et de sortir du traitement de masse sans contrôle qui leur a fait perdre peu à peu de vue leurs valeurs morales et leurs engagements éthiques. Par exemple, des initiatives comme le CAN (Conscious Advertising Network) Britannique posent les bases de ce que pourrait être cette reprise de contrôle des enjeux éthiques dans l'e-marketing.

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