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Ivan Rioufol en roue libre, où va le Figaro ?

Dernière mise à jour : 14 déc. 2020

En laissant son éditorialiste vedette étaler sans contrainte une propagande ignoble, le Figaro normalise-t-il volontairement le discours conspirationniste ?


Le 4 décembre 2020, dans les colonnes du Figaro, Ivan Rioufol a largement dépassé les bornes de la dignité, en publiant un texte qui reprend intégralement les thèses de la frange la plus nauséabonde de l'extrême-droite complotiste, xénophobe et autoritaire.


Le journal, qui habituellement donne la parole aux différentes sensibilités de la droite, était rarement allé aussi loin vers les extrêmes, abolissant les barrières, faisant sauter les digues, au grand dam des quelques adeptes de la droite républicaine qui restent, et qui en d'autres temps refusait de se voir associés au Front National de Le Pen et ses saillies populistes, homophobes, racistes ou antisémites.


Parce qu'il le faut, parce que, quelle que soit ses sensibilités politiques, il est des principes moraux, éthiques et humains qui ne sont pas négociables, parce que l'ensemble du paysage politique glisse rapidement vers l'acceptation de l'inacceptable, nous allons reprendre rapidement les points développé par Ivan Rioufol dans ce texte qui fait honte à ces principes que nous devrions tous défendre fièrement.


L'état de droit

Dès le départ, le ton est donné. L'État de droit, ce principe qui fait passer la loi et la justice au-dessus des décisions politiques, ce principe qui nous sépare des gouvernements autoritaires, représente pour Rioufol l'évangile des mondialistes. Parce que cet État de droit condamne les discriminations, les persécutions, les injustices de quelques gouvernements européens envers certaines de leurs minorités, il devient le missionnaire de la diversité, l'ordre universaliste. Et les opposants à cet État de droit, qui veulent discriminer les homosexuels, agir contre les principes qu'ils ont pourtant ratifiés seraient les rebelles qui mènent la fronde.

Mais quel est cet état de non-droit dont Rioufol rêve, est-ce un État qui "ne laisse aucune chance aux moins armés."?!


George Soros

L'artisan de l'ordonnancement supranational serait, bien sûr, George Soros, l'alpha et l'oméga des complotistes, dont ils trouvent la trace partout, dont ils inventent la mainmise dans tout ce qui les dérange. Pour eux c'est un croquemitaine, qu'il suffit d'évoquer pour teinter de suspicion toutes les voix qui s'élèvent pour demander la compassion, l'humanité ou même le simple respect de la personne humaine.

George Soros serait donc l'artisan d'un complot destiné à submerger l'Europe par des migrants venus d'Afrique. Pour quelles raisons, dans quel but ? Les complotistes on échafaudé à l'envi, au travers des réseaux sociaux, des blogs et des forums en ligne, leurs théories délirantes dans lesquelles la judéité de Soros est rarement laissée en reste.

Rioufol ne revient pas sur ces raisons. Il n'en a plus besoin, elles sont déjà connues de ses supporters. C'est ce qui est pratique, avec le complotisme : au bout d'un certain temps, plus la peine de développer, il suffit de sous-entendre.


Joe Biden et Trump

En passant, Rioufol ne manque pas, en sous-texte, de mettre en doute la victoire de Joe Biden aux élections américaines, victoire qui pourtant, à l'heure actuelle, ne peut plus être contestée.

En saluant la voie que Donald Trump a ouverte pour les États-Unis, et en le présentant comme le porte-voix des enracinés que les déracinés veulent faire tomber, on peut s'interroger sur les racines dont il est question. Généalogiques, ethniques, culturelles, religieuses ? Lorsqu'on parle des États-Unis, et plus précisément du mandat de Donald Trump durant lequel il a multiplié les marques de soutien aux groupuscules suprémacistes blancs et exacerbé les polarisations ethniques et religieuses, joué sur les clivages et entretenu les oppositions, la confusion grandit encore.


Les minorités

Il n'y a pas de bon complotisme sans victimisation. Le droit empêche la majorité de rejeter ou discriminer une minorité. Rappeler ce fait devient donc, sous la plume de Rioufol, à une tyrannie, qui nous imposerait de nous soumettre aux exigences des minorités ethniques ou sexuelles. Un renversement de valeurs qui lui permet donc de remettre en cause l'État de droit, justement là pour protéger les plus faibles, les minorités contre les abus des plus forts, la majorité.


Les Droits de l'Homme

Il fallait en arriver là. Les droits de l'Homme, que peu auraient songé à remettre en cause il y a seulement quelques années, sont présentés comme la pierre angulaire du trompe-l'oeil, l'empêcheur de tourner en rond. Le fait que n'importe qui, même ceux que Rioufol abhorre, puissent s'en prévaloir est pour lui inacceptable. Cependant, il ne bronche pas lorsque son ami Zemmour dépose un recours auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Mais lorsqu'il s'agit de musulmans, d'antiracistes, cela devient un droit des puissants qu'il faudrait donc combattre.


L'Europe de Visegrád

Aux yeux de Rioufol, ce groupe d'ex-pays de l'Est et leurs gouvernements populistes représentent la renaissance des peuples, des nations, des frontières. Selon lui, le désir de retrouver la maîtrise de ses lois, de son destin est légitime, voire à imiter. Par contre, Rioufol omet que l'homogénéité dont il chante les éloges n'est rien d'autre qu'une théorie d'épuration génétique (un non-sens scientifique) ou culturelle et le rejet de l'autre.

Dans la ligne Rioufol, la persécution de chrétiens dans des pays étrangers, les entraves à la pratique de leur foi devraient être dénoncées et combattues au nom des principes supranationaux qui passent avant tout. Là, nous sommes d'accord. Mais, par contre, les restriction des droits de minorités au sein même de l'Europe seraient justifiées par la souveraineté nationale. Et là, ça coince.

Ce type de réclamation à géométrie variable ne peut en effet convenir à qui que soit qui défend les Droits de l'Homme. De facto, c'est la nature même de tout "droit" : il s'applique de manière identique pour tous ou ne s'applique à personne.


Le "Great Reset"

On touche là à la théorie complotiste pur jus, dans laquelle Rioufol s'embarque tête baissée, sans état d'âme. D'après ses propres mots, l'Europe multiculturelle serait le cheval de Troie du "Great Reset". En désignant le "multiculturalisme" comme accessoire à cette proposition du forum économique mondial de réforme économique, il adopte ouvertement la théorie conspirationniste qui prétend à une machination des élites (dirigées par devinez qui) pour instaurer un Nouvel Ordre Mondial. N'osant pas employer ce terme, trop connoté, Rioufol lui préfère Nouveau Monde.


Les racines et la rhétorique identitaire

L'ensemble du champ sémantique des identitaires durs, adeptes de la théorie du Grand Remplacement qui a inspiré plusieurs tueurs de masse d'extrême-droite est ici abondamment repris : colonisation supposée de l'Europe par les migrants, renaissance des peuples européens, homogénéité, héritage culturel, reconquête, déracinés contre enracinés, étrangers et diversité brandis comme des épouvantails, guerre, produits diaboliques, Tour de Babel, idéologie du métissage ... Jouer sur les angoisses et les peurs, exacerber les polarisations, désigner un bouc émissaire, le déshumaniser, le transformer en point focal de tous les maux et ramener l'ensemble des problèmes à celui-là, militer pour l'abandon des principes des droits humains pour une catégorie de la population, préconiser de s'en débarrasser physiquement (ici, par la "remigration", terme inventé pour éviter le mot "déportation") afin de tout résoudre, c'est une technique hélas connue et employée jadis, servant de socle aux groupes extrémistes et dont la normalisation est justement opérée par ce type d'articles publiés par un grand journal.


La crise sanitaire

Rioufol se lâche. Nous serions en dictature, rien de moins. Les mots sont durs sur les abus dont nous serions victimes, la liberté individuelle primant apparemment dans son esprit sur tout le reste. À tel point que sur CNews, chaîne sur laquelle il officie, il a ouvertement appelé à une insurrection citoyenne -donc un renversement du gouvernement- à la surprise de l'animateur qu'on ne pourrait pas qualifier de gauchiste et qui lui a sommé de se taire.


On a également droit à une perle : Rioufol salue la décision du Conseil d'état invalidant la limite de 30 personnes dans les lieux de culte. Une instance supérieure qui, en rappelant les lois et principes qui nous régissent, empêche un gouvernement de prendre une mesure considérée comme autoritaire, n'est-ce pas le principe même de l'État de droit que l'éditorialiste voudrait abolir ?

Ou n'a-t-il grâce à ses yeux que lorsqu'il défend ses alliés, et devrait être aboli lorsque les décisions prises ne lui conviennent pas ?


Et même sur ce sujet pourtant bien éloigné des thèmes xénophobes, Rioufol parvient dans son billet à caser le terme idéologie du métissage. Un trait habituel de la monomanie des racistes d'extrême-droite, qu'on peut tout de même s'étonner de trouver ici.


Défense d'un "écrivain"

Pour tenter de démontrer le parti-pris de la justice, Rioufol oppose, dans une tentative de rapprochement absurde, des exactions contre des policiers et un procès en cours contre un écrivain. Quel est donc cet "écrivain" dont il se fait le défenseur, et qu'il qualifie d'homme de Lettres ? Il s'agit de Renaud Camus, idéologue de l'extrême-droite raciste et conspirationniste, l'inventeur et promoteur de la théorie mortifère du Grand Remplacement. Cette théorie appelle la population Européenne blanche et chrétienne à réagir contre un complot qui viserait à la remplacer par des africains, par le biais de l'immigration et de la démographie. C'est ce dernier point qui la rend ouvertement raciste. Prise très au sérieux par les groupes identitaires et des extrémistes violents, elle a été le motif de passage à l'acte de plusieurs meurtriers de masse.

Le multirécidiviste Renaud Camus est à nouveau poursuivi par la justice pour incitation à la haine raciale. Probablement un délit que Rioufol voudrait également abroger.

Pour conclure

Pris séparément, chacun de ces points, noyé dans un billet d'opinion, n'aurait pas mérité une telle réaction. On a l'habitude de lire Ivan Rioufol, et on sait qu'il est conservateur, certains diraient réactionnaire, et qu'il incarne plutôt une ligne de droite dure. Mais là, l'accumulation des thèmes et prises de position qui sont le fer de lance de l'extrême-droite laisse songeur. Les complots, la navigation à la frange du racisme et de la xénophobie, le vocabulaire, tout y est. On croirait lire un billet de blog d'un militant d'ultra-droite.


Bien sûr, le Figaro peut et doit se faire le porte-parole des diverses sensibilités, mais jusqu'où ? N'y a-t-il donc plus aucune limite, aucune ligne rouge ? Le communautarisme, le sectarisme, le dénigrement systématique des institutions et des principes moraux qui fondent notre république, la stigmatisation des étrangers, l'outrance, tout ceci est-il donc parfaitement légitime, constitue-t-il une opinion comme les autres ? Doit-on désormais s'attendre à trouver régulièrement des tracts d'extrême-droite comme celui-ci dans les colonnes du journal ?


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