1939.eu ou l'histoire au service de la politique

Le 31 août 2019, dans le cadre de nos relevés systématiques des publicités apparaissant sur le blog extrémiste Boulevard Voltaire, nous avons repéré cette publicité, pointant vers 1939.eu. Curieux de nature, nous avons mené l’enquête.

Le site en question est une initiative de la Fondation Nationale Polonaise et l’Institut des Nouveaux Médias. Déjà connue pour des vidéos #GermanDeathCamps et #PolishRighteousness qui divisent et qui en ont troublé plus d’un en 2018, menant à une dégradation de la relation entre Israël et la Pologne.

Un exemple :

Le monde découvre alors une vision tronquée de l’histoire confectionnée par le gouvernement polonais. Le Jerusalem Post parle de propagande. Au même moment, une nouvelle loi polonaise est élaborée, visant à punir de prison ferme celui qui se rend coupable de « l'attribution à la nation ou à l’Etat polonais, en dépit des faits, de crimes contre l’humanité » dans le contexte de la seconde guerre mondiale.

Suite à l'indignation internationale, la Pologne a amendé cette loi, seules des poursuites civiles sont désormais possibles contre celui qui évoque quelconque responsabilité polonaise dans les crimes commis durant la seconde guerre mondiale sur le sol polonais.

Mais qui est derrière la Fondation Nationale Polonaise ? Selon son site web, de grandes entreprises d’État sont à l’origine et financent la fondation.

L’argent ne manque pas,

la Fondation a investi massivement dans la production de films « qui promeuvent l’histoire de la Pologne » à Hollywood. Son directeur, Piotr Sliwowski, indique qu’il souhaite produire des films du type de « The Patriot » , film justement très controversé en raison de ses inexactitudes historiques et la représentation erronée des anglais monstrueux contre les américains vertueux.

Budget de départ pour la branche hollywoodienne de la Fondation ? 70 millions de $ plus un financement annuel se montant à 20 millions de $.

Il est également question de millions dépensés pour le Yacht "I love Poland", apparemment destiné à promouvoir la Pologne. Il s’agit d’un yacht de près de 22m, VO60 3ème génération. Voilà donc deux exemples d'investissements de la Fondation. Il y en a d'autres mais ce n'est le sujet principal de ce billet.

L’Institut des Nouveaux Médias

Deuxième entité à l’origine du site 1939.eu : l'Institut des Nouveaux Médias. Son président, Eryk Mistewicz, est conseiller en communication institutionnelle et politique. Il souhaite créer un Silicon Valley polonais, et un réseau alternatif se démarquant de ce qu’il dénonce comme « médias traditionnels » Le but avoué ? « Imposer notre point de vue à notre industrie »

L’Institut est également éditeur du mensuel « Wszystko Co Najważniejsze » qui est entre autres un admirateur d'Éric #Zemmour et publie ses billets.

Mais on y trouve également Chantal Delsol, chroniqueuse du #Figaro, ou Charles GAVE, intervenant régulier des sites d'extrême-droite réactionnaires français, auteur d’un article « L'Europe face au suicide démographique ». On y découvre aussi cet article surprenant : « Le pays le plus hospitalier d’Europe qui a accueilli le plus de migrants? La Pologne. ». L'auteur Eryk Mistewicz, président de l'Institut, ne mentionne nulle part la question épineuse de la Pologne qui, bien que membre de l’UE, refuse la solidarité intra-européenne concernant les demandeurs d’asile. D'ailleurs, l'article ne fait aucune mention des demandeurs d'asile. Ceci ne sont que quelques exemples permettant d'entrevoir l'orientation du mensuel.

L’expert - "La politique historique n’a pas besoin de se justifier"

Le Professeur Wojciech Roszkowski est désigné comme l’historien responsable du contenu du site 1939.eu. Ancien euro-député sur la liste du PiS (parti conservateur nationaliste , actuellement au pouvoir), il a participé à un congrès d’historiens polonais en 2016. Deux camps s’y opposaient : pour ou contre l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques.

Roszkowski est pour. Selon lui, la « politique historique n’est pas une science mais appartient aux politiciens. L’argument selon lequel elle viole les règles de la science historique relève d’un malentendu. La politique historique n’a pas besoin de se justifier. À la différence de la science, elle est orientée exclusivement vers l’obtention d’un rendement politique ».

L'Opinion publie cet historien polonais ainsi que d’autres acteurs de la Fondation Nationale Polonaise et contribue ainsi à la diffusion de l’histoire instrumentalisée.

Le Musée de la Seconde Guerre mondiale et Auschwitz ciblés par le gouvernement polonais.

Il suffit de feuilleter la presse afin de constater que cette d'utilisation de l’histoire comme véhicule politique fait des vagues en Pologne et ailleurs. Bon exemple : la construction d’un « musée des héros » à côté d’Auschwitz. Le journal La Croix écrit "À Auschwitz, l’exécutif polonais fait de l’histoire un instrument politique"

En 2017, le gouvernement PiS estime que le Musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk participe à une culture de la honte nuisible à la Pologne.

Le Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind écrit en 2017, suite au limogeage du directeur du musée, Paweł Machcewicz, : « La politique obscurantiste du gouvernement polonais menace la survie et l’intégrité scientifique du nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk (MIIGM) qui a ouvert ses portes début avril. »

Nous agissons selon le mot d’ordre déjà formulé dans le Marketing de narration : « Raconte ton histoire avant que les autres ne le fassent à ta place ».

C’est la phrase clé du site 1939.eu. La phrase également qui est à l’origine de notre enquête. N’est-ce pas un emballage « moderne » pour éviter le terme révisionnisme ? L’Histoire ne peut être cyclope, ne doit pas servir une orientation quelle qu’elle soit. Nous sommes dans ce cas précis face à une instrumentalisation de l’Histoire afin de faire avancer une fierté identitaire et nationaliste. N’est-ce pas un constat d’échec si le seul moyen d’être fier de son pays est de falsifier l’histoire, de l’abuser comme outil de marketing, d’omettre les temps sombres, les erreurs – individuelles ou collectives -, les choses qui nous font apprécier ce qu’il y a de lumineux et de positif dans notre histoire ?!

Le propos ici n’est pas de nier l’existence des Justes parmi la population polonaise. Personne ne le nie. Sur le site de Yad Vashem, vous trouverez ainsi les noms de 6.992 Justes polonais.

Il est aussi abject de nier leurs actions que de nier l'existence de collaborateurs polonais à l'occupation nazi.

Le monde est face à une campagne de marketing organisée, depuis 2017. 1939.eu se vante de pouvoir profiter de la bienveillance des médias suivants :

• LeFigaro / France

• L’Opinion / France

• Die Welt / Allemagne

• Washington Post / USA

• Chicago Tribune / USA

• Sunday Tribune /UK

• Sunday Express /UK

• Le Soir / Belgique

• El Pais / Espagne

Certes, les uns surprennent plus que d'autres, nous allons les contacter afin de comprendre leur positionnement exact vis-à-vis de 1939.eu.

Pensez aussi aux survivants et leurs familles, ceux qui ont été sauvés par un.e Juste polonais.e. Ces personnes et leurs descendants voient leur histoire familiale utilisée à des fins politiques aujourd'hui, alors que la montée des ultranationalismes en Pologne et ailleurs en Europe les font trembler d'effroi.

Checknews (Libération) :

[Elle a été organisée par l’extrême droite : le Camp national radical (ONR) et la Jeunesse de la Grande-Pologne. L’ONR se présente comme «un héritier du mouvement fasciste des années 30 du même nom, qui s’est battu pour débarrasser la Pologne des Juifs dans les années précédant l’holocauste» écrit le Wall Street Journal. ]